Récurrence #4 : comment le eCommerce aurait pu faire de moi le Roi du Plastron ™
Les outils de commerce en ligne permettent de créer des mini-empires là où il n’y avait que des passe-temps payants.
Je vous partage aujourd’hui une tranche de ma vie d’entrepreneur débutant et autant dénué de bon sens que de bons outils. Avec BEAUCOUP de recul, j’en garde de tendres souvenirs, et de bonnes leçons.
–
Ma première aventure entrepreneuriale
Pendant mes études collégiales, par curiosité, je me suis inscrit à un cours d’escrime pour le cours obligatoire d’éducation physique.
J’y ai pris goût au point d’accéder au club collégial pour ensuite devenir entraîneur certifié. D’escrime. Moi. Vraiment. (C’est le genre de truc que je fais parfois quand je suis laissé sans la surveillance d’un adulte.)
C’est là que j’ai rapidement identifié un problème : les vêtements de protection des escrimeurs (appelés “plastrons”) étaient moches et peu confortables à moins d’opter pour un modèle de compétition très onéreux. En plus, ils étaient mal adaptés à l’anatomie des escrimeuses, i.e. ma copine à ce moment.
En plus, pour mettre la main sur un plastron, il fallait se présenter aux compétitions et négocier avec le distributeur exclusif (le gars de 58 ans avec une queue de cheval qui portait un t-shirt de rock prog) sur les lignes de côté sans trop le déranger parce qu’il était occupé à coacher son équipe et ça, si et seulement si vous n’aviez PAS gagné contre un membre de son écurie pendant la journée parce que bon, il avait son honneur.
Bref, pour acheter un plastron d’escrime beau et confortable il fallait être riche, patient et mauvais escrimeur, et de préférence ne pas être une femme.
Je me suis dit qu’il y avait là un problème, et donc une opportunité d’affaires.
J’ai donc décidé de devenir le kingping du plastron d’escrime québécois (#DREAMBIG) en m'associant avec un ami en design industriel, offrant un job à ma mère couturière et en embauchant une finissante en design de mode pour créer un plastron beau, fabriqué ici et particulièrement confortable pour les femmes.
Ça a quand même bien commencé : dès l’envoi des premiers prototypes, plusieurs cégeps de la province nous ont envoyé des fax pour passer commande pour leurs clubs respectifs. Nos amis du club local en ont acheté. Vite, on a un MVP (Minimum Viable Product), C’EST LE TEMPS DE SCALER!!!
Sauf que des plastrons d’escrime, il doit s’en vendre 200 par année au Québec, et que les escrimeuses, contrairement aux cégeps, n’avaient pas de fax.
Et c’est là que le commerce électronique n'est pas arrivé dans ma vie parce qu’en 1993, les z’internets n’étaient pas encore au point : Netscape, le grand-papa du fureteur Firefox, est apparu seulement en 1994, juste avant qu’un banquier de New York et son épouse ne lancent une petite libraire en ligne nommée “Cadabra”... et renommée Amazon peu après.
Tout ça pour dire qu’en 1993, il n’y avait pas de plateforme permettant de créer un site de commerce électronique à faible coût, ni de médias sociaux pour rejoindre une “tribu” éparse, mais assez nombreuse pour créer une petite entreprise rentable dominant son créneau. Et qu’avant d’imprimer des catalogues à envoyer par la poste, il faut avoir les adresses des clientes potentielles, ce qui n’était pas simple pour un sport dont l’organisation, à l’époque, reposait sur chaque club local et l’humeur de son coach. En ces temps anciens, les clientes ne vous cherchaient pas sur Google; vous deviez les trouver, une à la fois. Possible, mais drôlement plus difficile, à moins d’avoir de grands moyens.
Bref, au lieu de devenir Le Roi du Plastron™ et de m’acheter un jet privé, je suis plutôt devenu le Baron des 5-6 plastrons qui restaient après cette première vente aux cégeps et, comme un plastron, ça dure des années, ces premières ventes furent aussi pas mal les dernières… et j’ai dû me trouver un job d’été pour rembourser le prêt que j’avais contracté pour démarrer cette multinationale en devenir. #PLASTRONFTW
–
Fast Forward vers 2022
Les escrimeurs ne jouent plus à Donjons & Dragons comme en 1993 : ils sont même commandités par Red Bull. Sacrilège.
Je n’ai aucune idée du chiffre d’affaires de Absolute Fencing Gear, mais ils existent et seulement ça, c’est un miracle encore impensable il y a 25 ans. Ils offrent un inventaire impressionnant grâce à une plateforme de commerce électronique (Magento) qui a permis de créer un site pour un montant probablement raisonnable, sans avoir besoin d’embaucher une armée de programmeurs et d’acheter des équipements très chers.
Avec plus de 1 300 000 publications utilisant #fencing sur Instagram, l’escrime a désormais ses comptes d’athlètes et de communautés dotés de dizaines de milliers de fans qui se parlent maintenant entre eux. (Et quelques perdus qui publient des photos de clôtures, aussi “fencing” en anglais, mais je ne les juge pas. Chacun son truc.)
La technologie, en devenant plus accessible et plus abordable, a transformé un passe-temps payant pour un entraîneur local en opportunité d’affaire nichée, mais rentable.
Et c’est pour ça qu’après m’être planté lors de ma première aventure entrepreneuriale Old School (des fax, les amis, DES FAX!!!) et avoir appris deux ou trois trucs lors de mes diverses expériences plus heureuses, je constate que :
Les plateformes comme Shopify (ou BigCommerce, ou Wix, ou SquareSpace, etc.) permettent aux commerçants d’avoir une présence en ligne qui couvre 80% de leurs besoins à faible coût. D’autres plateformes existent pour d’autres industries, comme pour les réservations en ligne en restauration, la vente B2B, etc.
Les écosystèmes de ces plateformes (App Stores ou autres) offrent des outils complémentaires pour le marketing, la fidélisation, la gestion des inventaires et tout le tralala pour couvrir 15% des besoins restants. Ces outils étaient auparavant disponibles, mais très chers, et donc réservés aux grandes entreprises. Vous avez besoin d’intelligence artificielle pour améliorer vos recommandations de produits? Payez 400000$ à un grand fournisseur en espérant que ça fonctionne, ou abonnez-vous à Limespot, Recomatic ou Wiser pour quelques dizaines de dollars par mois. Vous êtes vraiment gros, ou avez une architecture techno complexe et intégrée à votre ERP? Coveo est disponible à partir de 600$ par mois. Ça ne fonctionne pas? Vous venez d’épargner presque 400000$, bravo!
Et le 5% de besoins, caprices ou avantages concurrentiels et stratégiques restants? Embaucher des professionnels pour modifier votre plateforme y suffira si c’est nécessaire, et n’a jamais été aussi abordable parce qu’eux aussi, ils utilisent des outils efficaces.
Pas envie de gérer votre propre site Web ou vos campagnes de pub malgré tout ça? Amazon, WalMart, Best Buy et une multitude de détaillants offrent des marketplaces où bénéficier de leur achalandage pour vendre des produits est un jeu d’enfant, si vous êtes prêts aux nécessaires compromis.
Les fournisseurs aussi s’y sont mis; si vous souhaitez acheter quelque chose pour le revendre, une multitude de sources d’approvisionnement en ligne existent (Joor, Faire, Alibaba, etc), rendant les déplacements aux salons et “shows” d’industrie facultatifs.
Qu’est-ce que ça signifie?
Les enjeux et coûts technologiques du eCommerce ont été remplacés par la capacité à bien utiliser les outils existants. Nous sommes passés de l’obligation d’embaucher une équipe d'analystes, programmeurs et designers à celle d’être un Power User.
Avec des outils légers et souvent payables au mois, le commerce en ligne permet de tester une idée rapidement et à faible coût. Sans bail fixe de 10 ans dans un centre commercial ni investissement technologique majeur de départ, cette réduction des risques fait “baisser le coût de l’échec”, encourageant de nouveaux entrepreneurs à tenter leur chance sans y laisser leur chemise.
Ces outils permettent aussi de réduire le fardeau de la main-d’oeuvre de manière radicale : ce qui demandait parfois 5, 10 ou 20 personnes peut désormais s’opérer avec une équipe réduite, ce qui abaisse encore le risque.
Cela ne règle pas l’incontournable question de la logistique et des coûts d’expédition, mais, là aussi, dans les créneaux et avec des marges saines, il est possible de prospérer en ligne. Par exemple, les profits de Canada Goose pour les ventes aux détaillants sont d’environ 36%; ils sont de 57% pour les ventes directes, en magasin et en ligne. Même si plusieurs détaillants tirent bien leur épingle du jeu en ligne, les ventes en ligne sont parfois plus faciles pour les marques en modèle DTC en raison de la marge de distribution libérée. Qu’est-ce qui est préférable entre payer 40-60% à un distributeur/détaillant ou 12-20$ à Postes Canada sur chaque vente? Tout dépend de votre marge et du montant de la vente.
Malgré les augmentations de coûts et de complexité connues, les médias sociaux et la publicité en ligne, surtout pour les créneaux, permettent encore de joindre une communauté de clients potentiels plus efficacement qu’il était possible de le faire il y a seulement 20 ans. Là aussi, on peut parler d’une véritable démocratisation, même si les outils de gestion de campagnes deviennent de plus en plus puissants et complexes, et que les budgets requis suivent la courbe ascendante de la compétition.
Cette réduction des efforts technos et du risque est magnifique si vous êtes un petit qui peut maintenant se battre contre les grands. Cependant, ça signifie aussi que, quand vous serez devenu un “moyen”, d’autres petits nouveaux viendront gruger VOS parts de marché avec autant de facilité, d’où l’importance de fidéliser vos clients!
En résumé, ce qu’apportent les plateformes de commerce en ligne et leurs écosystèmes, c’est la démocratisation des moyens de vente et la réduction des risques de démarrage.
C’est surtout ça, la grande avancée potentielle du eCommerce au cours des dernières années : ce n’est pas Amazon (qui remplace Sears et ses catalogues distribués partout, au fond) mais plutôt les millions de petites et moyennes entreprises qui peuvent se tailler une place au soleil et avoir une véritable chance de grandir, tout en créant un tissu économique plus diversifié et plus résilient.
Quand on sait que 89% des emplois au Canada se retrouvent dans les entreprises de moins de 500 employés et 69% dans celles de moins de 100 employés, on peut apprécier à quel point cette démocratisation était nécessaire!
Qui sait, peut-être qu’avec les outils qui existent aujourd’hui, j’aurais pu bâtir mon empire de plastrons d’escrime? Heureusement, grâce à mon expérience, je me suis repris quelques années plus tard!
Lu depuis le dernier numéro
UPS encounters unexpected drop in parcel volumes as e-commerce growth slows : panique au village, le commerce en ligne est en péril! Évidemment, si on prend le temps de lire, on se rend compte qu’une croissance annuelle de 2,6% du commerce en ligne, c’est pas si mal considérant que l’an passé était une anomalie statistique phénoménale.
Amazon’s Covid-Era Buildout Proves Too Much as Demand Cools : panique au village, deuxième partie. Où on apprend que les ventes en ligne aux consommateurs d’Amazon sont stables après une croissance de 10% chaque trimestre depuis 2001 et que ça, c’est mal ou quelque chose du genre, sans égard au fait, encore une fois, que l’an passé est un très mauvais comparatif en raison d’une croissance anormale.
What is a good growth rate?, dans Lenny’s Newsletter, où on découvre l’origine des exigences de croissance de certains investisseurs qui mélangent le monde des SaaS et celui des entreprises “normales”, où on expédie des produits à des gens, et où un sage nous rappelle que pour les entreprises qui visent le marché du B2C, “...for early-stage consumer businesses, it’s all about intensity of engagement, virality, and retention—not revenue”.
Une humble demande
J’écris ce newsletter pour le plaisir de partager mes expériences en eCommerce avec vous. N’hésitez pas à envoyer cet article à celles et ceux qui pourraient aussi le trouver utile!
Merci de me lire, et à bientôt!
—
Michael