Récurrence est mort; vive Récurrence!
Allez vous chercher un café, on va explorer de nouveaux sentiers ensemble :)
Environ 11 minutes de lecture
Bonjour,
Je vous avais promis le retour de ce newsletter; le revoici, avec un positionnement un peu différent. J’espère que vous resterez des nôtres pour la suite!
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Intro
(J’ai commencé à écrire ce billet le 14 mars. Le délai de publication vous donne une idée de l’état d’esprit dans lequel j’étais à ce moment et au cours des mois suivants. Ne vous en faites pas pour moi, j’ai retrouvé mes repères!)
Avant de commencer à écrire ce newsletter, je m’étais donné trois objectifs :
Valider que j’avais encore envie de partager mes réflexions professionnelles publiquement, en dehors des chambres à écho des médias sociaux;
M’assurer que l’intérêt de l’audience était réciproque en atteignant un certain nombre d’abonné/es de qualité;
Écrire au moins 10 billets en un an pour voir si cette envie s’inscrivait dans la durée.
J’ai atteint ces objectifs en même temps qu’un nouveau projet d’affaires émergeait, et que plusieurs des mandats de consultation en ecommerce dans lesquels j’étais impliqué arrivaient à leur fin.
Cet alignement de débuts et de fins me permettait de prendre un peu de recul. Et mon moral l’exigeait : j’avais un compte en souffrance à ce sujet depuis longtemps, et l’impression de me retrouver devant un mur.
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Je sors de plusieurs années professionnellement enrichissantes, mais éreintantes : après le rachat pas exactement harmonieux de toutes les actions de ma firme Zengo en 2013, sa fusion avec Nofolo pour créer Sigmund et, deux années mouvementées plus tard, la revente de mes parts dans Sigmund (vous me suivez toujours?), je m’étais promis de prendre une pause pour réfléchir à l’avenir. Au lieu de ça, j’ai décidé d’investir mon temps plus sérieusement dans ce qui était alors un “pet project” et un laboratoire, Rituels.
Je me suis alors donné trois ans pour en faire une “vraie entreprise”. Après deux ouvertures de boutiques, la création d’une gamme de produits complète et une belle croissance des ventes bâtie sur une clientèle incroyablement fidèle, j’ai vendu Rituels à La Maison Simons trois ans et deux mois plus tard, pour aller y contribuer, en tant que directeur marketing, à la fondation de la nouvelle division Fabrique 1840.
Après ce passage, je m’étais promis (encore!) de prendre du temps pour bâtir un chalet, suivre quelques cours et réfléchir, pour vrai cette fois, à mon avenir professionnel. Mais ce n’est PAS arrivé.
Moins d’un mois après le début de mon “année sabbatique”, j’acceptais l’invitation des mes amis de chez Dancause à rencontrer de leurs clients pour “peut-être-un-tout-petit-mandat-mais-seulement-une-ou-deux-rencontres-pas-plus” qui m’a amené à contribuer (avec plaisir!) pendant plus d’un an à la refonte des systèmes, processus et stratégies de ecommerce de Souris Mini, qui se relevait alors d’une période très difficile. Le succès obtenu (un tas d’apprentissages, de riches rencontres, une équipe beaucoup plus autonome grâce à de meilleurs outils et des ventes en ligne multipliées par 4) m’a donné le hit de drogue la dose de motivation qui m’a fait accepter un deuxième mandat, puis un troisième, etc.
C’était reparti pour un tour.
Même si je m’étais fixé des objectifs et un cadre avec des OKR personnels, je dépassais bientôt le nombre d’heures maximal par semaine que je souhaitais passer avec des clients. J’avais un beau petit pécule de côté, je générais les mêmes revenus que précédemment en moins de trois (courtes) journées de travail par semaine, sans gestion de personnel et avec des clients agréables. Comme le disait un sage, “What’s not to love?”
Et pourtant, ma motivation se trouvait qqpart entre le salon de quilles glauque du deuxième sous-sol de l’immeuble et le vide sanitaire juste en dessous. J’étais dans un cul-de-sac, et ce cul-de-sac était plutôt sombre et moche. Mais qu’est-ce qui cloche avec toi, garçon?
Le sens, mes amis/ies, le foutu sens.
Mes OKR me parlaient d’heures, de revenu par semaine et autres indicateurs “en dur” que j’atteignais avec succès. Mais à chaque semaine qui passait, j’avais de plus en plus hâte d’en finir. Je tolère mal le sentiment d’inutilité, et ma définition “d’utile” place la barre bien haute...
J’imagine que j’avais quand même une certaine valeur pour mes clients, sinon ils m’auraient foutu à la porte. J’étais quand même terriblement frustré d’être si bien payé pour régler des problèmes tactiques causés par des décisions prises très en amont. Alors j’ai eu envie de remonter la rivière pour explorer de nouvelles contrées.
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J’ai donc décidé de limiter mon implication à un seul mandat en ecommerce afin de dégager temps et attention pour valider cette nouvelle opportunité d’affaires qui me titillait. Et de là, des pistes à suivre se sont ouvertes devant moi. Go West, Young Man!
Chapitre 1 - un nouveau projet
J’ai co-fondé un nouveau projet d’affaires dans un domaine qui rejoint mon grand intérêt pour la forêt tout en utilisant mes compétences en démarrage d’entreprise, en technologie et en ecommerce. L’idée a émergé lors de discussions avec un ancien collègue et ami de longue date qui venait de vendre son entreprise techno et souhaitait démarrer un nouveau projet avec un impact environnemental concret. Le fait que cet ami soit capable de me faire rire à en perdre le souffle ne nuisait pas. Dans le pire des cas, les franches rigolades me feraient déjà du bien.
Comme je souhaitais mieux encadrer mon approche du démarrage, nous nous sommes imposé un cadre de validation inspiré des méthodes du Product Management (lire ceci et aussi ça si ça vous intéresse) pour avancer rapidement, mieux contrôler les risques et explorer les opportunités autour de 4 pôles principaux, en plus d’un cinquième dans notre cas:
La valeur du produit pour les clients (est-ce qu’ils vont l’acheter?)
L’utilisabilité (les clients seront-ils capables de l’utiliser?)
La capacité de réalisation des équipes (est-ce possible? À quel prix?)
La rentabilité du projet et sa place dans l’entreprise quand il s’agit d’un produit dans un porte-folio (scénarios financiers/P&L, enjeux légaux et organisationnels, etc)
Et spécifiquement pour notre projet, est-ce que nos thèses de départ sont valides scientifiquement?
Le but? Décider rapidement (et à un coût limité) si nous étions prêts à investir temps, talent et argent dans ce nouveau projet. C’est quand même mieux que d’engloutir une fortune pour développer un truc moche dont personne ne voudra, ou encore pire, un truc fantastique dont tout le monde voudra… seulement si c’est gratuit.
Product Management?
À l’aide d’une approche structurée, le Product Management permet de clarifier l’hypothèse d’affaires, de la valider auprès de clients potentiels et de développeurs, de s’assurer des conditions de rentabilité et ce faisant, d’avoir une vision claire de ses réelles chances de succès, sans lunettes roses, bonifiée de réels signaux du marché. Le plus important : les techniques utilisées permettent de faire tout ça assez rapidement, à faible coût et en captant des signaux du marché réel visé, pas de divers proxies qui s’avèrent être des chants de sirènes quelques mois (et millions) plus tard.
Bref, Lean Startup pour les intimes, et plus spécifiquement l’étape de validation du Product Management. (Davantage ici à ce sujet, avec un point de vue légèrement différent.)
Quelques mois plus tard, on arrive à un résultat certes imparfait, mais assez près de la vérité pour prendre une décision éclairée.
Si le résultat est négatif, ça n’aura pas coûté très cher, on aura appris qqch, rencontré des gens intéressants, évités les remords de faire une bêtise et les regrets au cas où il y aurait eu là une véritable bonne idée. Bref, le coût de l’échec sera si bas qu’on n’hésitera pas à recommencer avec une autre paire problème/solution potentielle.
Le coût de l’échec, selon Alberto Savoia (auteur de “The Right It”) :
Et si les dieux de l’Olympe nous sont favorables et que les signaux sont bons, nous aurons déjà une vision validée par le marché, un embryon d’équipe soudée autour de celle-ci, des building blocks concrets, des paramètres financiers clairs, de vrais premiers clients et une motivation béton pour alimenter le démarrage du projet au rocket fuel.
C’est quand même mieux qu’un plan d’affaires rédigé pour un banquier qui, de toute manière, ne le lira pas.
Chapitre 2 - Le Product Management pour le peuple!
Et c’est en passant par là pour la énième fois de ma vie, mais pour la première fois en m’imposant un cadre plus formel, que j’ai été frappé par l’évidence.
Si les techniques de validation du Product Management pouvaient m’être aussi utiles, elles pourraient peut-être aussi aider mes clients à prendre de meilleures décisions en amont, bien avant qu’elles n’impactent leurs équipes de marketing et ecommerce. Et le temps que je passerais ensuite avec celles-ci comme consultant serait occupé à créer beaucoup plus de valeur en relevant des défis plus complexes, mais plus stimulants.
Bonus : ces techniques, quand on les suit bien, permettent d’éliminer une partie de la distorsion de signaux causée par l’ego de l’entrepreneur/eure, surtout celui/celle qui a déjà connu un premier succès.
Explications.
En affaires, j’ai fait davantage de bons coups que de mauvais au cours des dernières années. Je ne suis pas milliardaire, mais je suis libre de prendre le temps de démarrer un nouveau projet, de m’accorder une pause pour suivre des cours, d’accepter seulement les mandats qui m’intéressent, de revoir ma pratique professionnelle sans inquiétude, de choisir mon horaire, de me concentrer sur mes forces. C’est ma définition personnelle d’une richesse suffisante, et tous ces privilèges sont le résultat de mon parcours entrepreneurial.
Il serait donc tentant de me dire que j’ai développé une bonne recette pour démarrer de petites entreprises qui ont du succès. Mais c’est faux.
Ce que j’ai appris au fil de temps en discutant avec des dizaines d’entrepreneurs (dont la plupart avaient beaucoup plus de succès que moi), c’est que les “recettes à succès” d’entrepreneurs-vedettes sont généralement… de la bullshit. Pour paraphraser François Lanthier-Nadeau lors d’une présentation, “Les histoires à succès sont des sources d’inspiration, pas des recettes!” Et il y a souvent confusion.
Du travail acharné, de bons instincts, une bonne équipe, le bon contexte et de la chance se mélangent pour expliquer le succès initial de plusieurs entrepreneurs/eures. Cette réussite peut cependant devenir un piège, transformant une première anecdote heureuse en fausse recette qui, dans un contexte différent (et encore plus pour une autre personne), ne donnera pas forcément les mêmes résultats.
Alors… si les méthodes et outils du Product Management permettent de créer des produits complexes avec vélocité et une relative sérénité, pourquoi ne pas l’appliquer aussi au démarrage d’entreprise? Pourquoi se limiter aux technologies? Est-ce que certains domaines sont “Off Limit” pour ces techniques? Comment utiliser ces méthodes pour réduire la myopie causée par l’ego de l’entrepreneur/eure à succès?
Ne trouvant pas de réponses définitives à ces questions dans mes échanges et mes lectures, j’ai plongé un peu plus profondément dans ma quête, et je me suis inscrit à un programme de Product Management du Stanford School of Engineering, épicentre universitaire des entreprises technologiques de la Silicon Valley. Si je n’y trouvais rien pour infirmer mes hypothèses, je considérerais que j’avais une piste. Et à date, il n’y a pas l’ombre d’un bloquant, moyennant quelques adaptations.
On dirait bien que ce que j’apprends pour mieux encadrer mes propres instincts est transférable à d’autres, dans bien des domaines.
Chapitre 3 : le syndrome de l’imposteur
Sauf que… La petite voix du syndrôme de l’imposteur me répète à l’oreille : “Mais qu’est-ce qu’un gars de ecommerce et marketing vient faire dans ça?”
Je vais te le dire, chère petite voix : je suis entrepreneur depuis 25 ans. Comme le chantait Sinatra, “I've been a puppet, a pauper, a pirate, a poet, a pawn and a king”. Mon expertise, c’est de percevoir et valider des opportunités, puis d’imaginer et transmettre la vision à d’autres qui bâtiront la solution permettant de les saisir.
Ce qui correspond, à peu de choses près, à la définition la plus pure du Product Management.
Ensuite, je travaille avec des entrepreneurs/eures comme consultant depuis à peu près aussi longtemps. Des démarrages, j’en ai vu de près. J’étais présent aux partys de lancement réussis, mais aussi aux post mortem difficiles après des échecs. Des discussions sur la vision des entrepreneurs/eures, leurs doutes et les difficultés de bâtir ce qu’ils ont d’abord rêvé, j’en ai eu des centaines. D’avoir eu “les mains dedans” pour mes propres entreprises me fait ressentir encore mieux leurs craintes, leurs défis, mais aussi leurs faiblesses, qui sont souvent les miennes.
Sans compter que le risque le plus important à contrôler au démarrage est celui de la valeur perçue par le client. Peu importe la qualité technique du produit, son utilisabilité et sa rentabilité potentielle, si le client n’en veut pas, ce sera un échec. No Product-Market Fit for You, Tiguidou. La connaissance des besoins du client et la maîtrise du positionnement pour qu’il soit persuadé qu’on y répond mieux que tous les autres, c’est le territoire du marketing. Ces expertises sont profondément liées; d’autres en ont parlé bien avant moi.
Finalement, la plupart des Product Managers compétents/tentes que j’ai rencontrées ont appris leur art et leur science “sur le tas”. J’ai le privilège de bonifier ma propre expérience d’une formation offerte par une institution réputée en tech. Ça ne vaut pas 10 ans dans les tranchées, mais ça offre une perspective de plus. Je ne ferai quand même pas semblant d’en avoir honte.
Alors, cher syndrome de l’imposteur, meilleure chance la prochaine fois. J’avance prudemment, mais j’avance.
Chapitre 4 : la fin de Récurrence et de toutes-autres-choses-connexes-vaguement-liées-au-ecommerce?
D’abord, le titre du newsletter n’est plus Récurrence, au cas où vous ne l’auriez pas remarqué. SOYEZ ATTENTIFS, PETITS NAÏFS, le monde est plein de pièges!
La fidélisation de la clientèle est un des piliers de la réussite et de la durabilité des entreprises; voilà ce qui m’intéresse, de la validation des idées grâce aux techniques de gestion de produit jusqu’à la récurrence des ventes. Tout ça est lié. Je continuerai donc à parler de récurrence, entre autres. J’ai encore deux ou trois trucs à dire là-dessus.
Si vous lisez ce newsletter uniquement pour y glaner des trucs hyperspécifiques à la récurrence en ecommerce et que vos yeux saignent en lisant quoi que ce soit d’autre, je crains donc que nos chemins se séparent bientôt, cher/chère ami/ie. Que votre route soit douce, et bonjour à votre mère. Vous achèterez le livre.
Mais si vous venez surtout pour les blagues, apprendre de nouveaux mots comme “glaner” (voir ci-haut), et même pour lire sur divers sujets liés au démarrage et au succès des petites et moyennes entreprises, avec une parenthèse très occasionnelle sur les choix qui impactent le bonheur (et la santé mentale) des entrepreneur/eures, restez en ligne.
À bientôt,
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Michael